Présentation des écrits sur l’onglet Ecrits
© Primate et poilu
(tiré de l’album « Histoires surprenantes n°2″)
Ecoutez ci dessous la voix de l’auteur :
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C’était un coquin solitaire, mais pas n’importe lequel, un coquin des montagnes à poils longs.
– L’abominable coquin des neiges au nom si péjoratif pense et se parle en lui-même :
Dans les montagnes de neiges éternelles, l’hiver est long et la solitude est large.
L’air est vif et l’alcool de riz qui vient de la vallée est durement porté à dos d’homme. Il gèle souvent dans les verres. On ne peut alors le boire que sous forme d’eskimo, avec un bâton en stalactite.
Ici, pas de site internet de rencontre ni de femme à décolleté plongeant, ni d’ailleurs de femme tout court.
– Son troupeau de yaks se parle à lui-même :
Notre pays n’est pas de la montagne à vaches. Ses pics enneigés sont crénelés, aigus et anguleux.
A elle seule, une femme arrondirait le paysage. Elle apporterait un peu d’équilibre à notre bon fermier par ses idées et sa présence.
Comme le dit un dicton populaire bien de chez nous : « un homme sans bonne chute de reins se plaint souvent en chagrin, chute dans le ravin… et se fait mal au poignet coquin comme à la main ».
– « L’abomifreux » fermier hirsute de l’Himalaya au grand cœur intérieur :
Je vais terminer un mécanisme en peau de débrouille pour s’occuper de mes bêtes en mon absence.
Puis, pour m’habituer à une vie aussi rude, je vais partir capturer une femme.
Je vais d’abord chercher pas trop loin de chez moi pour qu’elle me ressemble un peu et puisse s’habituer à la montagne.
– Le troupeau de yaks à poils longs :
N’oublie pas ton lasso de capture et rase toi un minimum pour un look acceptable.
Dans cet état, tu nous ressembles comme deux gouttes d’eau givrées.
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C’est enfin le départ et l’homme embrasse ses bêtes. De loin, on pourrait croire qu’il leur roule une pelle à neige. Il était vraiment temps que leur proximité excessive cesse.
Il charge sur son dos un bon équipement de survie, sans oublier le brumisateur de phéromones masculines.
Le soleil est rude. Il prend aussi un pot de graisse de yak anti UV pour enduire de pommade ses pommettes mates.
Il marche et marche tout le jour. La nuit, il dort dans un trou de neige.
Cela lui donne le temps de rêver, d’imaginer, de fantasmer. Il se dit qu’il lui faut rattraper le temps perdu, qu’une belle femme est mieux qu’une femme et qu’une très belle femme est encore mieux. Le top, ce serait la Miss Himalaya de l’année.
Il l’imagine avec des yeux de braise à en faire fondre les glaciers.
Il l’imagine avec des cheveux noirs et longs comme des poils de yak.
Il l’imagine avec un bonnet chaud de montagnarde et même deux bonnets : des bonnets de taille E comme énormes bien sûr, en évitant tout de même le format F comme faux… mais vrai silicone.
Et puis il se dit en marchant et marchant encore que Miss Asie serait tellement mieux.
Avec une pincée de gourmandise, il s’imagine même avec Miss Univers à son bras.
Un soir où il avait encore beaucoup marché vers le sud, il se retrouva assis en Inde sur un rocher du golfe du Bengale. La mer était calme et le ciel étoilé d’étoiles filantes en file indienne.
En tétant des yeux la voie lactée, il imagine une Miss Galaxie. Elle serait peut-être exotique plus que de raison, mais sûrement meilleure sur tous les plans, car choisie par un jury de spécialistes en expertise amoureuse.
Puis, écrasé de fatigue, de faim, et loin de ses coutumes montagnardes, il rentre les épaules et se penche encore un peu.
Il se regarde une dernière fois dans le reflet d’argent et se laisse tomber dans la crique d’eau salée.
Dans sa chute vers les fonds marins, il voit enfin Miss Galaxie sous forme… d’un poulpe femelle vert émeraude. Ses yeux clignotent et sont si coquins ! Ses nombreux bras prêts à enlacer ont des ventouses grosses comme des débouche-évier.
L’étreinte promet d’être puissante et passionnée.
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Les histoires vécues sont souvent les plus étonnantes.
Cette histoire a vraiment existé mais ne dit pas s’ils firent ensemble de beaux enfants.
Pour vous faire plaisir, je pourrais la conclure dans l’apaisant merveilleux, mais on ne peut pas inventer la fin d’une histoire vraie.
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Texte N. Le Clerc